Pour la COMMUNAUTE CROQUEURS DE MOTS
Vous êtes plongé(e)
dans l'obscurité la plus complète
A vos plumes, A vos néons
Ayez bon pied, bon oeil...
Ecrivez.... à tâtons ...
défi lancé par Tricôtine
«-Alba !
-Alba !
-Alba, tes yeux !
-Allez, Alba ! Il faut que tu fermes les yeux !
-Alba...»
La voix paraît lointaine, comme à travers du coton. Elle continue patiemment ses appels et petit à petit , à force d'à force, traverse les limbes. Elle s'approche et s'insinue finalement à l'orée
de la conscience.
«-Alba !»
Là, j'ai entendu !
Je me redresse hébétée.
«-Ququ qui m'appelle ?»
Il fait noir comme aux confins de la galaxie et j'ai l'esprit ankylosé de quelqu'un qui n'a pas assez dormi.
Un temps.
Je frotte. J'écarquille. Ne vois rien. ...
Re-frotte. Re-écarquille. Toujours rien.
C'est tout noir de chez tout noir, comme au fond d'une cave par une nuit profonde sans étoile et sans lune, "on" aurait éteint le réverbère dans la rue et "on" aurait tout calfeutré avec un
rideau noir, et recouvert de plastique noir bien épais, celui des fraises.
Qui ?
C'est un noir pesant, étouffant. Maléfique !
Un noir de vide sidéral...rempli de dangers ! pffff
Temps de réflexion... voyons, où suis-je ?
Pas chez moi en tout cas ! Chez moi je connais tout par cœur, ma fenêtre est sous les étoiles et quand je me réveille la nuit, je n'ai pas peur, je sais toujours où je suis...
Bon je suis où, alors ? Aucun repère !
La voix qui m'appelait s'est tue.
«-Alba !»
Là c'est moi qui l'ai dit. Je voulais savoir si la pièce me renverrait de l'écho, entendre un nom connu par une voix connue... ma voix... Effort inutile: il n'y a pas d'écho. D'ailleurs ... je ne
me suis même pas entendue !
On ne voit rien, on n'entend rien.
Rien de rien. Il n'y a personne.
Enfin si, il y a moi ...
Assise sur le lit, en chemise de nuit, réveillée bien trop vite et pas très rassurée.
Tous les sens aux aguets...
Sur le lit ? Quel lit ?
Pas le mien qui est doux, qui est frais et qui sent la pomme, le parfum de mon homme et le mien, mélange de sommeil et d'amour.
Ce lit-là ne sent rien.
D'ailleurs je ne sens rien. Pas d'odeur d'oreiller, d'effluves d'un homme, pas de parfum de pomme, pas de fleurs près de moi...
Palpation : lorsqu'aucun autre sens ne répond, il faut s'en remettre au toucher ou au goût ! Le goût sera probablement ma prochaine expérience, si celle-ci échoue encore...
Mais non, ça va: j'ai conscience de mes fesses, et dessous c'est mou et ferme à la fois, je m'enfonce un peu, et ma main peut sentir le tissu... oui, on dirait un lit.
Ouf !
Ouf ! quoi ? Ouf ! Je sens ? ou Ouf ! C'est un lit ?
Non parce que je ne vois pas en quoi le fait de se retrouver dans un lit inconnu serait plus rassurant que de se retrouver sur une meule de foin inconnue ! Le fait de supposer être dans une
chambre, peut-être? Une chambre avec des murs, une porte, un toit, de l'électricité ?
D'ailleurs suis-je dans une chambre ? Une chambre noire ? On va me développer ? Hi hi hi même dans les situations critiques je ne perds jamais mon sens de l'humour ! Je souris dans le noir, mais
je souris jaune....
Ya vraiment pas de quoi se poiler, hein ?
Ça commence à m'agacer cette histoire !
Bon ça me fait au moins un sens qui fonctionne...
Je vérifierais bien le dernier... mais j'hésite à goûter quoi que ce soit que je ne voie pas ! De toutes façons il n'y a rien !
Enfin... je crois ... !
Je commence à têter mon pouce. Il est bon !
Il est bon comme le bon pain, comme de l'eau fraiche, comme une chose bonne!
Voyons... où étais-je hier soir ?
Et avec qui ? Mais rien ne vient...
Avant, alors ?
Toujours rien... c'est le trou noir ! Le vrai ! Celui qui avale tout !!!
Panique.
Allons allons, calme-toi... tu n'as pas tout oublié : tu sais que tu es Alba, et que tu n'es pas chez toi !
Ah oui, c'est vrai. C'est peu, mais c'est déjà quelque chose !
Je ne suis pas d'ici ! Je dois rentrer chez moi !
J'ai peur de me lever...
Qu'y a-t'il de sournoisement silencieux tapi sous ce lit ? Et dans tous les recoins ? Y a-t'il des recoins ?
La main sur la poitrine -tchoum toc tchoum toc- je n'entends pas mais je ressens -tchoum toc tchoum toc- ça rassure... un peu.
Alors, qu'est-ce que je fais, moi maintenant ? J'ai dû rêver la voix, ... si je me rendormais ?
Demain il fera jour et tout s'expliquera comme par magie. Tout sera comme avant, et je rirai de ma frayeur !
Oui, c'est ça, je vais fermer les yeux et attendre demain, et tout rentrera dans l'ordre...
Je m'allonge... ferme les yeux... et "avant" me revient d'un seul coup !
Je vois !
Des couleurs ! Des gens ! Des lieux !
Des bras qui se tendent vers moi et j'entends maman chantonner... et je pleure doucement... Maman ! Tu es revenue... je sens ton parfum ! Viens me faire un câlin...Maman !
Hélas, j'ai ouvert les yeux et tout a disparu
Ça fait un drôle d'effet ... Le noir me ré-enveloppe. Absorbe tout, jusqu'aux souvenirs.
Je les referme. Je préfère. J'aime pas le noir !
Pour les ouvrir aussitôt: maintenant, je n'ai plus trop sommeil... il faut que je me lève.
«-J'aime pas le noir, j'ai peur ! » couiné-je encore sans entendre aucun son.
A quoi bon, eh ? Ridicule. Parfaitement, ridicule.
Bon allez, ça suffit les lamentations et les tergiversations ! Tu vas te lever, tu vas tâtonner le long des murs jusqu'à l'interrupteur et cesser tes enfantillages !
Il en faut du courage pour se lever ...
Je ne sais pas si vous vous êtes déjà retrouvés dans un endroit inconnu privé de tout repère sensoriel, mais moi pas ! C'est une grande première ! Et j'aime moyennement ça... l'impression d'être
enfermée dans un caisson !
Tiens je ne sais pas ce qui me fait le plus peur, d'avoir perdu mes sens ou de m'être perdue ?
Et si les deux étaient liés ?...
Allez, zou !
On y va !
Assise.
Une jambe par dessus le .... ??? Il n'y a pas de rebord à ce lit !!!
Allez Alba, arrête tes bêtises, ce doit-être un grand lit et tu es au milieu, c'est tout !
A quatre pattes.
Avance doucement, à tâtons. Ne va pas tomber en plus, hein ? T'serais pas foutue de remonter !
Une main, un genou, l'autre main, l'autre genou, l'autre m... Il est sacrément grand, ce lit !
On continue, encore quelques pas.
Le temps me dure...
Combien ai-je fait de pas, à genoux sur ce lit sans toucher l'un ou l'autre bord ?
Ai-je au moins bougé ? Aucun moyen de le vérifier...
C'est un cauchemar !!! Je me pince et aïe ! Evidemment pauvre pomme. !!!
Gnarf gnarf gnarf... celui qui te torture par plaisir doit être content, tu lui donnes du spectacle !
Retour position horizontale. Ça aide à réfléchir. Analyse épouvantée de la situation:
Je suis éveillée.
Je suis vivante.
Les yeux ouverts:
Noir.
Silence.
Je suis perdue.
N'existe que ce que je touche, ou ce qui me touche physiquement, soit presque rien: les abords immédiats de ma petite enveloppe charnelle.
Les yeux fermés:
Reprennent vie la lumière, les couleurs, la beauté, la musique.
Je revois l'horizon.
J'entends, je sens, je vis.
Existent tous ceux que j'aime.
C'est le monde à l'envers !
Je suis à l'envers, je vis à l'envers !
Terreur.
Fouille ta tête, cherche un moyen, il faut sortir de là il faut sortir de ça !
Fouille, fouille... ferme les yeux !
Et ressurgit des tréfonds du passé cette image avec sa légende, collée sur mon petit cahier de lycéenne:
Si vous voulez que vos rêves deviennent réalité,
la première chose à faire c'est de vous réveiller.
à l'envers, il faut la lire à l'envers :
Si je veux que la réalité ne soit pas un mauvais rêve, je dois fermer les yeux !
fermer les yeux.... fermer les yeux... fermer les yeux... fermer...
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